Netflix

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“All political lives end in failure” (Enoch Powell). Certains prennent un raccourci et échouent avant d’avoir commencé. Depuis les poubelles de l’Histoire où j’ai établi mon séjour, je vais vous entretenir d’un prodigieux voyage au pays merveilleux de Netflix. Avertissement : il est possible que cet article me vaille ma première condamnation pénale.

Je commence par une confession. J’ai regardé un feuilleton sur Netflix. Je pourrais vous dire que c’était parce que j’étais très malade, mais ça, ce n’est vrai qu’à partir du 2e épisode. Le 1er épisode, je l’ai regardé parce que j’ai été accroché par les premières minutes. Une reconstitution impressionnante de la Révolution culturelle chinoise de 1966. Un physicien pékinois est battu à mort pour avoir enseigné la relativité et le Big Bang. Jarnicoton, de l’anticommunisme sur Netflix ! S’achèteraient-ils une conduite ?

Ça s’appelle Le Problème à 3 corps et c’est l’adaptation Netflix d’une trilogie de romans de science-fiction chinois. D’où le fait qu’ils ont dû garder un début à Pékin sous la révolution culturelle. Pour le reste, les romans se passent en Chine et les personnages sont chinois, alors Netflix a « internationalisé » pour le public « international ». Autant s’intéresser à ce que veut dire « internationaliser » à la sauce Netflix.

Bon. L’action est transposée au Royaume-Uni, un pays certes un peu moins woke et « internationalisé » que le Canada, mais Netflix s’est sans doute rendu compte que c’était trop ridicule d’imaginer le Canada défendre la Terre contre une invasion extraterrestre (ou faire quoi que ce soit d’important, d’ailleurs). Les physiciens d’Oxford sont chinois, latino-américains ou « africains ». Eh oui, la différence entre les wokes et moi, c’est que les wokes sont racistes. Pour eux, un Noir, fût-il originaire de la Beauce, de l’Alentejo ou du Wisconsin, c’est toujours un « Africain ». Pour moi, Gaston Monnerville, c’était un Français ; pour les wokes, un « Africain ». Les wokes ne s’encombrent pas non plus trop de faire la différence entre un Ivoirien et un Sénégalais, un Angolais et un Mozambicain, un Ghanéen et un Botswanais. Donc, on saura juste que le physicien est originaire « d’Afrique » (c’est dit dans un des épisodes). 

À un moment, on apprend que la physicienne chinoise est en couple avec un officier de marine britannique, donc forcément d’origine indienne. Elle va dîner dans la famille de son promis. (Heureusement, ils continuent à cuisiner indien et ne se sont pas convertis à la « cuisine » anglaise ; la fiancée fera donc un bon repas.) Et là, il y a une scène qui montre l’ampleur de la tragédie qu’est la transformation d’un roman de science-fiction écrit pour un public chinois en un feuilleton TV destiné aux Barbares. Là où je suppose que le roman – que je n’ai pas lu – doit contenir des pages d’explications scientifiques, on a droit à une minute d’une sorte de Kaluza-Klein pour les Nuls, avec un plagiat du Flatland d’Abbott, sous la forme d’une démonstration que la fiancée chinoise fait avec des galettes, démonstration forcément ridicule, puisque, dans l’univers de la télévision occidentale, tous les scientifiques et tous les érudits sont ridicules. Le père du fiancé raconte un affrontement avec les Pakistanais. Tiens ? Tous les Noirs sont « Africains », mais les Indo-Pakistanais sont soit Indiens, soit Pakistanais ? Serait-on mieux informé de ce côté-là chez Netflix ?

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Les seuls pays qui comptent sont l’Anglosphère et la Chine. Pas besoin de faire des sourires aux esclaves allemands, français ou italiens des USA. Mais comme la production est étasunienne et que les USA sont dans l’ALENA, on doit faire risette au Québec et au Mexique. On a donc une physicienne sud-américaine qui parle à un moment en espagnol), et un dialogue en français d’une rare débilité entre le guide américain des amis des extraterrestres et une fillette embarquée sur le bateau qui prépare leur accueil.

Au denier épisode, on apprend que le monde peut être sauvé, sous l’auspice de la secrétaire générale des Nations-Unies ( !), par trois Wallfacers, mot qui viendrait du bouddhisme ( !!) :  un général chinois, une combattante kurde du PKK, et le physicien « africain » nommé plus haut. Tiens, deux communistes sur trois sauveurs de l’humanité ? Netflix n’est peut-être pas si anticommuniste que le laisserait supposer le premier épisode. Il faudrait que je demande aux maoïstes français qui ont « démontré », sur leur site Internet, qu’Enver Hoxha n’était pas communiste (https://vivelemaoisme.org/l-albanie-et-enver-hoxha/ publié en ligne le 28 août 2018). Peut-être que Netflix cherche à désorienter la vraie gauche en faisant l’éloge du révisionnisme façon Deng Xiaoping aux dépens de la pure doctrine maoïste.

En résumé, le monde selon Netflix, c’est un univers dans lequel personne n’a de religion, où tout le monde parle anglais, où la vie se limite à des objectifs de carrière et les loisirs à des jeux vidéo, et où tout le monde prend au sérieux l’Organisation des Nations-Unies. Ça va pour décrire le canton de Genève, mais pour appréhender la complexité du reste du monde ?

Il y a d’ailleurs une scène hilarante qui se passe à Genève, au CERN, avec un policier genevois qui parle anglais… avec l’accent britannique. Sans doute une fleur de Netflix aux Genevois, les montrant tels qu’ils se voient (et ne s’entendent pas). Parce que pour la réalité… Procurez-vous une archive sonore de Tocard d’Estaing croyant s’adresser en anglais à la « presse internationale » le soir de son élection à la présidence de la République française en 1974, et vous comprendrez ce que je veux dire. 

Quant à l’ONU comme solution de tous les problèmes… L’ONU, c’est plutôt le fonctionnaire international qui, à Genève, le 29 février 2024, m’a menacé d’appeler la police parce que je lui avais demandé de s’adresser à moi en français. Universalisme ou impérialisme ?

Je reste en admiration devant la magie de Netflix. Ou comment transformer un roman de science-fiction chinois en un manifeste impérialiste anglo-saxon… mais si politiquement correct.

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