À quand une “Demi-Pride” ?

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Si vous êtes demisexuel, votre sexualité n’est sans doute pas complète. Ainsi va l’époque qui invente chaque jour de nouvelles minorités. Mais vous avez le droit d’être fier, soutient l’écrivain Henri Quantin, vous qui tentez de suivre la route difficile d’une humanisation de la sexualité.

“C’est curieux, chez les marins, ce besoin de faire des phrases”, dit un personnage des Tontons flingueurs. Tout aussi curieux, le besoin contemporain de donner un nom, donc une existence officielle, à toute sorte d’”orientations sexuelles” transformées en identités revendiquées. L’évolution de l’acronyme de défense des “minorités” l’illustre bien : LGB, puis LGBT, puis LGBTQ, puis LGBTQIA et enfin LGBTQIA+… Le “plus” final est venu couronner la volonté de n’oublier personne, mais il sonne comme un aveu d’échec à nommer tout le monde. Lesbian, Gay, Bi, Trans, Queer, Intersexuel, Asexuel, Plus… On a l’impression de faire l’appel : tous les discriminés-existant-par-leur-discrimination sont-ils là ?

Ce qu’ignore sans doute une bonne partie des lecteurs d’Aleteia, c’est qu’ils peuvent désormais être appelés “demisexuels”. Demi seulement ! Certains doivent craindre qu’on les soupçonne d’une sexualité au rabais : en général, qu’on parle de frère, de finale de coupe du monde ou de camembert, c’est moins bien quand il y a “demi” devant. D’autres sont peut-être rassurés, voyant là l’autorisation de n’être sexuels qu’à mi-temps, libérés de l’injonction à du sexe plus vite, plus haut, plus fort, condition de l’épanouissement personnel, voire de l’appartenance à l’humanité commune.

Demisexuel ? Une orientation assez commune

Qu’est-ce qu’un demisexuel ? La question a été posée par un animateur de France Inter, au cours d’un petit jeu lexical auquel il livrait ses chroniqueurs. La réponse b. se révéla être la bonne : “Quelqu’un qui ne peut faire l’amour qu’avec une personne avec qui il a une connexion émotionnelle forte.” Voilà donc la réalité inouïe qui exigeait qu’on inventât un nouveau mot.

Sans doute conscient que ses auditeurs s’attendaient à une nouveauté plus fascinante, l’animateur précisa tout de même qu’il s’agissait d’une “orientation sexuelle assez facile à deviner, car assez commune, finalement”. Et d’ajouter que c’était la sienne. Dans un monde dont toute norme est bannie comme discriminante, il va de soi que nul n’osera dire que cela définit avant tout une sexualité humaine distincte de la pulsion animale. Tout au plus l’animateur remarqua-t-il que ces questions suivantes portaient sur des “orientations” plus rares : skoliosexuel, sapiosexuel et graysexuel (que les curieux prennent un dictionnaire).

Comment appellera-t-on alors celui qui associe l’union charnelle au don de soi pour la vie, à la promesse de la fidélité, à la parole qui engage, au renoncement à l’égoïsme, à l’attention à l’autre, à la vigilance contre la soif de domination ?

Malgré tous ses efforts, notre époque ne parvient pas à masquer le mépris du sexe que dissimule son apparente exaltation. Si attendre de connaître quelqu’un avant de coucher avec lui relève d’une demi-sexualité, on peut déduire que la sexualité pleine et entière est réservée à la bête ou au violeur. Pas étonnant alors qu’il devienne urgent de balancer son porc et de mesurer toute relation à l’aune d’un violentomètre. Quand on pense que les mêmes hurlent au puritanisme, quand un prêtre ose timidement suggérer d’attendre avant de se jeter sur l’autre.

Une légitime fierté ?

“Demisexuel”, donc, celui qui ne réduit pas le sexe à une décharge physiologique. Comment appellera-t-on alors celui qui associe l’union charnelle au don de soi pour la vie, à la promesse de la fidélité, à la parole qui engage, au renoncement à l’égoïsme, à l’attention à l’autre, à la vigilance contre la soif de domination ? Je suppose que certains proposeraient un nouveau préfixe qui diminue encore dans cette sexualité la part du sexe tel qu’ils le voient : minisexuel ? nanosexuel ? Le jeu du préfixe n’est pas élucubration gratuite, puisque les dictionnaires récents nous signalent que “la demisexualité fait partie du spectre de l’asexualité”. Autrement dit, aimer la personne avec qui vous couchez relève ultimement d’un désir sexuel un peu limité ! Encore un petit effort, amis lecteurs, et vous pourrez rejoindre, comme tout le monde, la LGBTQIA+-Pride. Vous y goûterez enfin la joie d’appartenir à une minorité discriminée plus reconnue que la minorité catholique.

Tout l’effort du christianisme est en effet d’humaniser pleinement une sexualité tantôt divinisée dans une résurgence de paganisme, tantôt réduite à la pulsion animale.

Les demisexuels pourraient toutefois lancer leur propre marche : la Demi-Pride. Le seul risque serait qu’elle soit confondue avec la fête de la bière. Pride ? Le mot est plus justifié que dans la marche de toutes les autres fiertés. S’il s’agit seulement d’orientations sexuelles, on voit mal quelle fierté on pourrait tirer de ce qu’on n’a pas choisi. Il y a en revanche un mérite — une légitime fierté ? — à tenter de suivre la route difficile d’une humanisation de la sexualité, telle que l’a tracée Benoît XVI dans Deus caritas est : “Oui, l’eros veut nous élever “en extase” vers le Divin, nous conduire au-delà de nous-mêmes, mais c’est précisément pourquoi est requis un chemin de montée, de renoncements, de purifications et de guérisons.” Tout l’effort du christianisme est en effet d’humaniser pleinement une sexualité tantôt divinisée dans une résurgence de paganisme, tantôt réduite à la pulsion animale, dans un naturalisme hérité du XIXe siècle. Demisexualité ou “plénisexualité” ?

La sexualité civilisée 

Pour définir celui qui “ne peut faire l’amour qu’avec une personne avec qui il a une connexion émotionnelle forte”, on proposerait volontiers le mot “civilisé”, mais sans doute est-il devenu trop suspect de complicité avec l’histoire du monde occidental. Celui qui parvient à transfigurer eros en agapé pourrait, en tout cas, être plus qu’à moitié fier. Mais sans doute la reconnaissance de ses fragilités l’aura-t-elle rendu trop humble pour défiler, même dans une Demi-Pride.

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